Speaker(s):
Jacques Carré (émérite Paris 4)
Date:
21 May 2015
La workhouse est une institution publique d’assistance qui, durant trois siècles, a hébergé les indigents qui acceptaient d’y entrer. Les valides devaient travailler en échange de leur entretien, et les non valides de tous âges étaient assistés d’une manière minimale. A la fois atelier et hospice, refuge des vagabonds et des fous, des orphelins et des vieillards, la workhouse vue du 21e siècle peut sembler avoir eu des missions contradictoires. Pourtant elle tire sa cohérence de son action sur les marges de la société. Son objectif a été de réintégrer ces catégories de gens dans une « normalité » biologique et économique. Il s’est agi à la fois de sauver des vies menacées et d’inculquer une discipline à des rebelles potentiels, l’objectif théorique étant de remettre tout le monde au travail.
Pourtant, si le travail manuel a été alors au cœur du projet de la workhouse, c’est de manière différente avant et après 1834. Aux 17e et 18e siècles, le travail dans la workhouse a été conçu comme un instrument de réintégration dans une société rurale stratifiée où "pauvre" était synonyme de "travailleur". Avec la révolution industrielle du 19e siècle, le sens du travail demandé aux indigents valides a connu un extraordinaire renversement très précisément lors la réforme de la "Loi des pauvres" en 1834. En imposant désormais des tâches délibérément dégradantes aux indigents qui acceptaient d'entrer à la workhouse, on les a exclus de fait d‘une société urbaine compétitive où le travail pouvait permettre une promotion sociale. Quant aux enfants, aux adultes non valides, aux vieillards, ils n'avaient plus leur place dans une institution systématiquement punitive, et vouée par ses contradictions à la diversification à la fin du 19e siècle, puis à une implosion finale au 20e.
Dans cette présentation, on tentera en particulier de répondre aux questions suivantes : comment écrire une histoire équilibrée d'une institution d'assistance quand la voix des assistés est inaudible ? Comment échapper au misérabilisme (moderne) et au moralisme (ancien) qui ont dominé dans le discours sur la workhouse ? Peut-on qualifier de communauté les occupants d’une workhouse, à l’instar d’un collège ou d’un asile ? Des comparaisons avec les hôpitaux et les prisons sont-elles utiles ? Que révèlent les modèles architecturaux successifs de la workhouse ? L’histoire de cette institution nous en apprend-elle plus sur les élites que sur les pauvres ?
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