Chacun à leur manière, Annie Besant (1847-1933) et William Thomas Stead (1849-1912) font partie des personnages incontournables du Londres radical et socialiste de la fin du XIXe siècle. Leurs activités et leurs écrits ont fait l’objet de nombreuses études. Pourtant, Annie Besant, la socialiste militante, et W.T. Stead, le journaliste d’investigation radical, sont rarement étudiés simultanément dans la mesure où leur collaboration autour d’un journal n’a duré qu’un an. The Link, leur hebdomadaire de quatre pages n’a été publié qu’entre février et décembre 1888. Destiné à un public populaire, ce périodique s’adressait également à toute personne soucieuse de trouver des solutions aux problèmes politiques et sociaux de l’époque. Malgré une durée de vie relativement courte (même si à l’époque de nombreux journaux connaissaient le même sort) et en dépit d’un tirage limité, The Link a préparé deux grandes batailles populaires de la fin des années 1880 : la grève victorieuse des ouvrières non-qualifiées de la fabrique d’allumettes Byrant and May et l’élection de deux socialistes au London School Board (conseil des écoles de Londres). Pourtant, au-delà de l’analyse de la genèse de ces deux événements, The Link n’a guère été étudié, notamment parce qu’il est difficile de le rattacher à un mouvement plus large. En effet, ses rédacteurs en chef rejettent toute affiliation politique ou idéologique. The Link représente l’organe de la Law and Liberty League (ligue du droit et des libertés), créée fin 1887 pour défendre la liberté d’expression et lutter contre la répression policière des manifestations populaires. L’objectif affiché de The Link est d’accompagner la fondation d’un réseau militant, organisé comme une Eglise, afin de "travailler à la rédemption de l'humanité dans la sphère séculière de la politique et de l’économie". Hebdomadaire hybride fondé par deux réformateurs sociaux très différents, mais tous les deux soucieux des questions morales, The Link s’inscrit pourtant dans le courant radical et renouveau socialiste des années 1880. Afin de le comprendre pleinement, il est également nécessaire de voir comment il a été inspiré par le « nouveau journalisme », une nouvelle forme de journalisme, inaugurée par Stead, qui concevait son métier comme une croisade morale et qui utilisait la presse pour défendre des causes sociales, notamment en suscitant le scandale. L’objectif de cette intervention est de montrer que The Link représente une expérience pouvant être interprétée comme une forme de nouveau journalisme avec des résultats qui n’étaient pas nécessairement envisagés au départ. Cette interprétation permettra de remettre en cause l’image traditionnelle de The Link, présenté à la fois comme un projet personnel destiné à fonder une organisation quasi-militaire ou comme un projet d’inspiration religieuse. Il s’agira de s’interroger sur le sens des métaphores religieuses et militaires, tout en insistant sur les trois objectifs défendus dans The Link : la défense de la liberté d’expression dans les lieux publics, l’exigence d’une représentation politique indépendante des classes laborieuses et la lutte pour l’amélioration des conditions de travail et de rémunération des ouvriers. Cette étude permettra de souligner l’intérêt de The Link, qui témoigne de la diversité intellectuelle et militante des mouvements de contestation populaire à la fin du XIXe siècle, du dialogue entre radicalisme et socialisme, mais également de la porosité des frontières entre les groupes politiques, le monde du journalisme et les milieux militants et syndicaux.